samedi 17 novembre 2012





Philippe Pouzoulet


« DYNAMISME DE LA FOI ET INCROYANCE »

Entrer dans l’Année de la Foi avec J. Loew et G.M. Cottier



Il y a presque 50 ans, en 1963, Jacques Loew, dominicain fondateur de la Mission ouvrière Saint Pierre et Saint Paul, et Georges-Marie Cottier, également dominicain, futur théologien du Pape Jean-Paul II et futur cardinal, conjuguaient leurs talents pour écrire un livre de 120 pages qu’on aurait tout intérêt à rééditer au seuil de l’Année de la Foi, tant le diagnostic qu’il pose et les orientations qu’il propose restent actuels et pertinents. Il paraît qu’il fut à l’époque rejeté par les progressistes auquel il semblait trop conservateur, voire réactionnaire, et par les conservateurs, pour son dangereux progressisme…C’est bon signe.



L’ouvrage se compose de deux parties, l’une qui établit le « diagnostic sur l’incroyance » à laquelle l’Eglise doit déjà faire face, l’autre qui fixe des « jalons pour la pastorale », enracinés dans une certitude qui conclut la réflexion : « Une pastorale qui centre son effort sur l’éducation de la foi est sans doute la seule riposte efficace à l’athéisme moderne ». Le livre se présente ainsi comme une sorte de manuel d’école de la foi pour temps de crise…Nous en sommes toujours là.

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Une lecture trop rapide pourrait donner à penser que le diagnostic sur l’incroyance, que les deux auteurs centrent sur le décryptage du phénomène communiste et les réponses chrétiennes aux défis marxistes, est aujourd’hui dépassé après la fin de l’URSS et la quasi-disparition du parti communiste du paysage politique et culturel. A notre avis, il n’en est rien, pour deux raisons. D’une part, si nous sommes prompts à reprocher aux pays de l’est de n’avoir jamais réalisé leur « dé-soviétisation », force est de constater qu’en France, la critique de fond de l’idéologie communiste reste à faire d’autant plus qu’elle a exercé son emprise sur tous les milieux, y compris au sein de l’Eglise. C’est peut-être ce qui rend notre pays plus vulnérable encore à l’irruption de l’idéologie libertaire qui fait office de doctrine de rechange, comme le montre par exemple le soutien du PCF au projet de « mariage » des personnes de même sexe. D’autre part, J. Loew et G.M.M. Cottier prennent soin de resituer le communisme dans la contexte plus large de ce qu’ils appellent le « naturalisme doctrinal et éthique », dont l’idéologie libertaire est l’avatar contemporain le plus important : entendez par là « une attitude de l’homme qui ne reconnaît rien au-dessus de la nature et de ce qui est objet des facultés naturelles ou, du moins, qui prétend s’en désintéresser ». Le trait commun de ce naturalisme est la négation du péché et du surnaturel selon ses divers modes, la méconnaissance du  sens et de la nécessité de la grâce, le subjectivisme de la pensée et de la morale. L’athéisme en est l’aboutissement logique, et le laïcisme la forme politique. Et les deux auteurs d’observer : « La rencontre (du naturalisme) avec le progrès de l’âge technique l’a comme revivifié et métamorphosé. Il en a tiré un dynamisme nouveau et un extrême pouvoir de séduction ». On ne saurait mieux dire à l’époque de la recherche sur l’embryon et de la gestation pour autrui…


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Nous voudrions toutefois concentrer l’attention sur la seconde partie du livre relative à la pastorale, tant les axes dégagés par les auteurs nous semblent toujours aussi prioritaires.

Partons d’une constatation posée comme un accord introductif avant le développement du motif : « Le raz de marée de l’incroyance doit être compris par l’Eglise comme un défi à elle lancé, avec la permission de la Providence, afin de la stimuler à vivre plus intensément des mystères de son Seigneur. L’exigence concerne sa vie intérieure, son élan missionnaire comme son témoignage collectif ». Les forces du mal auxquelles l’homme est affronté se travestissent en puissances temporelles, voire politiques, mais elles sont en réalité spirituelles. Comme dans le combat contre le communisme, il ne saurait être question de combattre l’adversaire avec les mêmes moyens que lui, en s’appuyant sur les forces du monde. La pastorale ne doit s’appuyer que sur l’Eglise et la foi, elle doit être centrée sur une « pédagogie de la foi », qui nous apprend qui est Dieu, qui nous fait connaître l’amour de Dieu et l’efficacité de cet amour dans nos vies ; le témoignage des prêtres et des laïcs ne peut être que celui de la « foi vécue » ; l’esprit missionnaire ne peut se nourrir que de la « foi vive ». Et cette foi doit devenir chez chaque chrétien une « foi adulte » qui suppose un « certain degré de profondeur et de désir de sainteté » : « pas de pastorale authentique sans un certain degré d’exigences spirituelles ».

On ne peut que souligner la lucidité des auteurs selon lesquels (c’est écrit en 1963) il est d’autant plus capital de faire porter tout le poids de la pastorale sur l’éducation de la foi que notre temps est celui de la « fin de la chrétienté ». Par conséquent, on ne peut plus partir du présupposé que les gens « ont la foi » comme si celle-ci constituait un héritage indiscuté. Les auteurs relèvent le constat sans concession d’une équipe missionnaire en banlieue parisienne : « …au fond, ces gens ont perdu même le sens de la religion naturelle. En fait, ce ne sont pas des infidèles ou des apostats, mais de véritables païens areligieux, très profondément imprégnés par la mentalité marxiste » (on dirait aujourd’hui : très profondément imprégnés de relativisme moral, de matérialisme et d’individualisme…).

Suivent les « lignes de force » de la pastorale de la foi qui ne nous surprendront pas 50 ans après le Concile Vatican II :

  • une foi dégagée de tout fidéisme, une doctrine réaffirmant la valeur de la raison humaine, l’aptitude de la raison à connaître Dieu à partir de ses œuvres, l’aptitude de la raison à saisir le caractère spirituel de l’âme, à connaître les lois naturelles, la crédibilité de la révélation, la valeur de la vérité théologique. Cela suppose une bonne formation intellectuelle des clercs (et des laïcs, ajouterons-nous, dès lors qu’ils sont actifs dans la pastorale…) ;
  • une foi pleinement théologale parce qu’éclairée par la Parole de Dieu, théologiquement expliquée : la catéchèse doit aboutir à l’intelligence du mystère de l’Eglise, corps mystique du Christ, seule capable de fournir aux esprits une vision du monde vraie et de leur transmettre l’Espérance. L’écoute et l’enseignement de la Parole de Dieu, transmise avec « des mots vivants pour annoncer une foi vivante », a pour but de faire déboucher la foi théologale, « garantie des biens que l’on espère » (Saint Paul), sur l’espérance elle aussi théologale ;
  • une foi vécue et témoignant par la prière et dans les sacrements de la cohérence de la fidélité des croyants ;
  • une foi missionnaire qui construit l’Eglise avec un laïcat adulte.


L’un des passages les plus marquants du livre a trait aux sacrements. Les auteurs se penchent sans aucune « langue de buis » sur la manière dont trop souvent les sacrements sont donnés : non que leur réception ne soit pas « valide », mais bien plutôt que cette réception ne peut être « fructueuse ». L’Eglise baptise le petit enfant, mais dans de très nombreux cas, il ne peut plus être présumé qu’il sera élevé chrétiennement ; elle reçoit le consentement des époux, mais les époux veulent-ils réellement le mariage vrai et indissoluble alors qu’ils n’auront dans bien des cas ni le minimum de foi ni le recours à la prière pour faire face aux épreuves de la vie conjugale ? Ne faut-il pas constater que les mariés à l’Eglise sont souvent des « baptisés incroyants » voire des « pratiquants athées » venus recevoir une prestation ? Que dire encore des extrêmes-onctions administrées à des personnes dans le coma qui n’ont jamais pratiqué ? J. Loew et G.M.M Cottier ne dissimulent pas les conséquences extrêmement dommageables de cette situation pour les prêtres condamnés à une sorte de schizophrénie pastorale (le mot n’est pas employé, mais c’est bien ce qui s’en dégage), en donnant la parole à l’un d’entre eux : « Ce qui est grave, à travers ces faits multipliés, c’est que, pour nous, prêtres, nous sommes presque toujours obligés de faire les gestes sans pouvoir exiger les engagements de foi …Le geste sacramentel risque de ne plus être éducateur de la foi. On a tout fait : baptême, communion, mariage… sans s’engager vraiment … Dans ce contexte, les contours de l’Eglise ne sont plus nets : tous sont chrétiens…et bien peu le sont en actes …Il y a collectivement une dépréciation du ministère d’Eglise ». Chercher la cause de la crise des vocations…

Les auteurs n’en restent pourtant pas à cet état des lieux face auquel on serait tenté de baisser les bras. Ils apportent une réponse dûment argumentée qu’il conviendrait d’étudier soigneusement dans tous nos diocèses et dont la mise en œuvre est à peine amorcée. L’objectif est clair : soutenir l’acte de foi et veiller à la fécondité du sacrement donné. Cela passe par une pastorale d’accueil jumelée à une pastorale par étapes. On peut dire qu’on a fait depuis 50 ans des progrès dans cette direction pour le baptême des adultes. Mais les efforts sont-ils aussi nets s’agissant de la pastorale du mariage, alors que les prêtres renoncent le plus souvent à poser les exigences de l’Eglise qui nécessiteraient une progression plus longue vers l’engagement solennel des époux devant Dieu ?

Il nous semble qu’il y a quelque urgence à entendre enfin ce que nous disent Jacques Loew et Georges-Marie Cottier car le temps de la présentation d’un « christianisme au rabais » est révolu. Il ne ramène aucun incroyant vers l’Eglise et il a surtout pour effet de décourager les croyants qui subsistent et de démobiliser les jeunes redevenus exigeants sur la qualité de leur engagement spirituel.

« Les sacrements sont pour les personnes, il s’agit d’acheminer celles-ci peu à peu vers eux ». Les auteurs nous renvoient à l’école de Jésus, qui dans sa façon de former ses disciples, nous apprend la patience. Il s’agit de demander beaucoup, mais de demander ce qui peut être compris et accompli. Ainsi, par exemple, pourquoi ne pas proposer aux fiancés plus ou moins éloignés de l’Eglise un premier engagement d’instruction et de vie de prière qui leur permettent d’abord de savoir ce qu’est vraiment le mariage chrétien, avant de se donner un sacrement dont ils ignorent tout encore ? Avant même le mariage, pourquoi ne pas proposer une introduction progressive à la messe pour que sa fréquentation régulière ne soit plus posée comme une obligation mais comme un besoin vital ?

Les auteurs n’ont pas choisi d’aborder dans le cadre d’un court traité consacré à la mission le modus operandi de ce qu’ils proposent. Mais il semble pourtant assez clair à les lire que la pastorale telle qu’ils la préconisent nécessite une « politique » relativement unifiée au sein de l’Eglise en France. Par exemple, à quoi bon cela servirait-il d’inviter un couple de fiancés à approfondir sa préparation au mariage avant de pouvoir envisager le sacrement si les mêmes fiancés, dans une autre paroisse ou un autre diocèse, peuvent passer outre et pratiquer le « shopping » des sacrements en obtenant un mariage rapide et mal préparé ? En d’autres termes, une pastorale de la foi dans la plus grande dispersion des moyens et des efforts a-t-elle quelque chance de réussir ? Il nous semble que cette question mérite d’être posée au cours de l’Année de la Foi…

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Pour finir, Jacques Loew et Georges-Marie Cottier nous ramènent à la vérité même de la foi : la foi est «une victoire et un combat » : une victoire parce qu’elle nous donne la certitude de l’amour miséricordieux de Dieu manifesté dans la mort rédemptrice et la résurrection de Jésus ; et un combat d’une violence extrême, car la foi centre notre vie sur le mystère de Dieu. Les deux auteurs nous renvoient à l’exemple des saints dont la foi héroïque s’affirme au milieu des pires tentations du désespoir. Laissons-leur le mot de la fin tel qu’ils nous le transmettent encore aujourd’hui, de toute la force de leur propre témoignage : « Vivre la foi, selon toutes ses dimensions, jusqu’au bout, cela dépend en définitive de la générosité de chaque âme à s’ouvrir à la grâce de Dieu. Mais cette générosité a besoin d’être suscitée, aidée, appuyée, encouragée, éclairée : c’est là l’œuvre propre de la pastorale qui doit, en conséquence, être munie des instruments adéquats ».

Merci à Jacques Loew et à Georges-Marie Cottier de nous avoir laissé ce bon viatique pour prendre la route de l’Année de la Foi !



Philippe Pouzoulet





J. Loew et G.M.-M Cottier, Dynamisme de la foi et incroyance, Paris, Cerf , 1963

2 commentaires:

P. Philippe Leroy a dit…

Je me sens un "tout petit" pour réagir sur ce blog de gens beaucoup plus savants que moi. Je suis un "vieux", ou "presque vieux" prêtre ordonné en 1966. Dans le passé j'ai eu plusieurs charges successives de "responsable de secteur". Désormais je suis devenu un petit prêtre de base. Un fantassin.
Ma toute petite expérience :
Dans la pastorale des sacrements, «nous faisons comme si". Je veux dire nous faisons comme si nous étions encore en situation de chrétienté. Bien que l'on peut encore s'interroger : la France a-t-elle été véritablement évangélisée en profondeur et durablement dans les siècles passés, ou a-t-on simplement donné aux français des "habitudes religieuses" : aller à la messe, baptiser les gamins, se marier à l'église etc.
Il y a quelques jours un "gentil petit couple" est venu me voir pour parler de son mariage à l'église. Jusque là, rien d'extraordinaire, sauf qu'ils ne sont baptisés ni l'un, ni l'autre...J'aurais pu leur dire : "circulez! Vous n'avez rien à faire ici. Vous n'êtes pas baptisés, je ne peux rien faire pour vous». En fait nous avons bavardé une heure ensemble. En les écoutant dire leur vie : infirmière pour elle, pompier volontaire pour l'autre, deux jeunes au service des autres, "un gentil petit couple"P. Philippe Leroy disais-je. Elle, Amélie envisagerait même de demander le baptême...Qu'ont-ils de moins ou de plus que tous ces couples chez qui, par chance, l'un des deux est baptisé. Un sésame bien précieux pour avoir DROIT ABSOLU à un vrai mariage...Mais, mariage RELIGIEUX ? ou mariage CHRETIEN ? Là est la question. La douloureuse question car plus des trois quarts des couples cherchent surtout du religieux, quitte à exhiber pour charmer les oreilles du curé un bon vieux déisme, héritage de la grand'mère...
A ce couple j'ai dit: "si vous avez envie de prier en sortant de la Mairie. Si vous voulez confier votre amour à ce Quelqu'un que vous ne connaissez pas mais qui vous semble devoir démarrer avec vous cette journée de mariage, même si vous ne savez pas trop pourquoi, je suis prêt à vous aider à préparer un temps de prière et je vous ouvrirai toutes grandes les portes de l'église. Je n'ai pas le droit d'exiger un passeport de quiconque veut entrer dans ce lieu sacré.

Pardon pour cette longue et banale histoire mais qui stigmatise assez bien le problème d'un sacrement, appelé mariage dans une société totalement sécularisée. Si malheureusement le "mariage pour tous" est voté, je crains fort que tôt ou tard ces homosexuels viendront frapper aux portes des églises et presbytères, car, diront-ils, nous aussi, nous avons droit à mettre Dieu dans notre amour...Nous, on s'aiment autant que les hétéros. Et on est baptisés !

P. Philippe Leroy a dit…

Permettez-moi une autre petite histoire vécue il y a quelques semaines: un petit Théo 2 ans que ses parents ont décidé de baptiser. Les parents ont suivi les deux réunions de préparation au baptême animées par deux mamans.
Je me rends à leur domicile et très vite je découvre non pas un enfant, mais trois, Manuel en CM2 et Raphaël en CE1Tous deux ont été baptisés, mais ni l’'un ni l'autre ne vont à la catéchèse pour le plus grand, à l'éveil à la foi pour le second.
Pourquoi ? - Réponse : "ils n'ont pas voulu y aller. » !
Le baptême avait lieu 15 jours plus tard, à l'évidence il m'était impossible de leur appliquer les règles du Droit Canon qui exigent que les ainés soient en catéchèse ou déjà catéchisés pour que le petit dernier soit baptisé à son tour
Le jour du baptême (pendant la messe dominicale) j'ai dit clairement devant tout le monde cette situation anormale (les parents s'y attendaient) et j'ai remis très solennellement aux parents sur une grande feuille noms et coordonnées de la responsable de la catéchèse et du responsable de l'éveil à la foi . Les enfants ne sont toujours pas inscrits...
C'est un exemple parmi des milliers d'autres. Combien de temps faudra-t-il encore continuer à célébrer des baptêmes de petits enfants que l'on ne verra jamais en catéchèse. En revanche, à l'approche de leur mariage (s'ils se marient un jour)ils pourront fournir un extrait de baptême ! Le fameux sésame…

Un mot sur les baptêmes d'adultes. J'ai eu le bonheur ces dernières années d’avoir pu en célébrer presque chaque année lors de la veillée pascale. Très bien. Oui mais le plus souvent ils n'ont fait aucun pas pour s'intégrer à la communauté paroissiale qui, elle-même, le plus souvent, n'a rien fait pour les y aider...Très vite ils disparaissent dans la nature. Pourquoi ont-ils voulu ce baptême à l’âge adulte ? Les motivations sont très variées et toutes respectables, mai, le plus souvent, ce sont des démarches à caractère individuel et privé qui ne prennent pas en compte le "vivre ensemble" des chrétiens. La faute à qui ? Voilà une bonne question, mais y répondre est loin d’être simple.

Ma dernière petite histoire vécue.
Pendant 3 ans se réunissaient chez moi, au presbytère, une équipe de caté et sa catéchiste. Ces enfants, je ne les ai pratiquement jamais vus à la messe et la catéchiste non plus. POURTANT ! C'est cette catéchiste (non pratiquante de la messe)qui a préparé ces enfants à leur première communion. Depuis je ne les ai jamais revus !
Voilà beaucoup de négatif, j'en conviens. Beaucoup trop. Il faudrait également énumérer tous ces chrétiens formidables qui font exister l'Eglise ici ou là, mais peut-être pas l'Eglise telle qu'elle devrait être au cœur des mutations de notre société.

Permettez une conclusion. Elle émane de l'un des évêques du tout récent synode romain, Mgr Olivier SCHMITTAEUSLER, vicaire apostolique de Phnom-Penh. Il souhaite "une Eglise qui touche le cœur, une Eglise simple, hospitalière, joyeuse et qui prie."